le 30/08/2002

 
 
 
 
 
 
 
     
     
     
     
     30/08/2002
 
 
 
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Né en Malaisie

Tan a 40 ans, mais paraît bien quelques années de plus. Une vie passée dans l'obscurité du café familial, derrière le comptoir, à attendre les clients. Dans la salle, quelques vieilles tables en formica, des réfrigérateurs remplis de bouteilles d'alcool et de sodas, des affiches publicitaires sur lesquelles les charmes de superbes brunes en déshabillés attirent le regard pour mieux vanter les atouts d'une bière de renom. Au fond de la salle, comme le veut la coutume chinoise, un petit autel en bois rouge. C'est la demeure des esprits, ornée d'idéogrammes couleur or, que les maîtres des lieux honorent du mieux qu'ils peuvent pour que les esprits ne s'aventurent pas au-delà, dans la demeure des vivants.

Tan ne vous dira pas qu'il est chinois

Le père de Tan a quitté l'île d'Hainan il y a 60 ans. C'est avec son père que Tan aurait aimé voir la terre de ces ancêtres, mais le projet s'est éteint avec la mort de ce dernier, il y a 6 ans. Aujourd'hui, Tan est seul pour s'occuper du café et de la maison familiale, transformée depuis peu en guest-house. Et c'est peut être parce qu'il vit seul dans cette maison trop grande que Tan est si enclin à raconter son histoire et celle de son pays, la Malaisie. Car Tan ne vous dira pas qu'il est chinois, même si les traditions chinoises tiennent une place importante dans son quotidien, même s'il a étudié dans une école chinoise comme le font tous ceux de sa communauté. Non, Tan est malais. "Je suis né en Malaisie, je suis malais."

De temps en temps, il jette un œil vers le rideau...

Doucement, la conversation que nous avons avec Tan change de sujet. Assis auprès de lui depuis plusieurs heures, nous n'avons pas vu la nuit tomber. Il est tard, et ce dernier a tiré le rideau métallique fermant l'entrée du café. Parler de son enfance et de sa vie présente, l'amène a évoquer son pays et les changements qu'il a pu voir ces dernières années. De temps en temps, il jette un œil vers le rideau, comme s'il craignait que les passants, les gens du quartier lui prêtent attention.

Ici, au contact des différentes ethnies, nous avons appris quelques mots de malais, de chinois et de tamoul. Trois langues pour trois communautés. Et dans une même rue, quand les musulmans se réunissent à la mosquée 5 fois par jour, les chinois se rendent au temple, tandis que les hindous vont prier Hanuman ou Ganesha. Une liberté de culte qui selon Tan semble menacée. "Le Kelantan et le Terranganu sont deux états fédéraux de Malaisie péninsulaire. Là-bas, l'islam est de plus en plus fort, et les gouvernements de ces deux états souhaitent imposer la loi islamique à tous, même aux non musulmans. Et dans les écoles publiques, les chinois doivent suivre les cours d'islam et prier Allah quand bien même ils ne sont pas musulmans."

Aux chinois l'économie, aux malais la politique

Depuis plus de 30 ans, le gouvernement fédéral accorde des privilèges aux musulmans. En matière de propriété foncière, de création d'entreprise, d'orientation scolaire et d'accès aux postes administratifs. L'intégration ethnique est loin d'être réalisée. Aux chinois l'économie, aux malais la politique. Le premier ministre actuel, le docteur Mahatir, tient le pays d'une main musclée depuis plus de 20 ans. Une démocratie dirigée, un mélange de valeurs asiatiques et d'islam. Et un pari pour le parti au pouvoir, unifier les différentes communautés, et répartir équitablement les ressources de la nation pour parvenir à une réelle stabilité. Mais Tan est amer quand il évoque son premier métier. "Avant de travailler avec mon père, j'ai travaillé dans une plantation de palme. Une plantation gouvernementale. J'avais beau donner tout ce que je pouvais, faire du mieux mon travail, les promotions étaient toujours pour les malais, pour les musulmans, quand bien même ces derniers n'en faisaient pas la moitié."

Le renouveau islamique

La promotion de la langue malaise comme unique langue nationale contribue à forger une identité nationale. Mais la montée de l'islam dans certains états va à l'encontre des ambitions économiques du pays, déjà revues à la baisse depuis la crise économique de 1997, et surtout, ce renouveau islamique risque d'ébranler le fragile équilibre de la société.

En juillet dernier, lors d'un meeting politique, le premier ministre a annoncé qu'il démissionnera l'année prochaine. Les journaux qui ont relaté l'événement montraient une foule en larmes. Et pour Tan, cette démission risque de laisser une place plus grande à la religion. "Le jour où la religion prendra le pas sur le développement économique, nous les chinois, nous n'auront plus rien à attendre du pays."

Nani et Minh