le 24/12/2002

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
     
     24/12/2002
     
     
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Retour au pays

Né en France, de parents vietnamiens, j'avais toujours imaginé qu'un jour je foulerai la terre de mes ancêtres. Voyage attendu, espéré, toujours repoussé. Peur d'être déçu, peur que ce voyage ne soit pas à la hauteur de mes attentes, peur de me sentir perdu dans un pays si important à mes yeux et pourtant tellement éloigné de celui que je suis devenu aujourd'hui.

Mille et une choses de mon enfance

Mais voilà qu'après plus d'un an d'une longue dérive qui nous a menée en Asie du Sud-Est, Nani et moi effectuons nos premiers pas au Vietnam. Très vite, tous mes fantasmes, toutes les projections que j'avais faites se dissipent d'elles-mêmes, laissant place à la réalité du pays. Et le sentiment de découvrir un pays inconnu se mélange à celui de retrouver mille et une choses de mon enfance : des odeurs, des plats, des boissons, des attitudes aussi, comme cette habitude qu'ont les vieux d'embrasser les enfants en aspirant une grande bouffée d'air avec le nez. Comme le faisait mon grand-père quand je lui rendais visite.

Après une courte période d'hésitation, mes parents ont décidé de se joindre à nous pour ce voyage dans leur pays natal. Mon frère aussi est du voyage, et lui et moi partageons la même envie de retrouver nos racines vietnamiennes. Nos parents ont quitté le Vietnam à l'âge de 16 ans, c'était en 1956. Partis pour faire des études à Paris, un peu comme on part faire ses études à la capitale, ils pensaient, à l'époque, revenir au bout de cinq ans. Mais entre-temps, la guerre avec les américains, puis l'arrivée autoritaire du communisme à la fin de la guerre, ont finalement eu raison de leur envie de rentrer.

Les souvenirs remontent et trouvent des mots pour s'exprimer

Avec eux, nous parcourons les rues de Saïgon à la recherche des lieux de leur enfance. La maison du grand-père, où poussent encore les trois jacquiers qu'il a planté quand mon père n'était qu'un enfant, le lycée des garçons, celui des filles, ... Les souvenirs remontent, prennent forme et trouvent des mots pour s'exprimer. Et puis, il y a la rencontre avec la famille restée au pays, ma grand-mère, mes grand-oncles, mes oncles, ma tante, mes cousins... Et mes parents retrouvent, pour la première fois, des personnes âgées qu'il ont quittées dans la force de l'âge et des mères de famille qui à l'époque n'étaient encore que de petites filles,... 46 ans se sont écoulés, presque une vie.

Parler du passé de ma famille, c'est plonger dans l'Histoire du Vietnam, comme dans un tourbillon qui aurait tout emporté. Certains de mes oncles, officiers dans l'armée du Sud, ont dû fuir avec les américains lors de la chute de Saïgon, en 1975. D'autres moins chanceux ont fini en camp de rééducation. Dans ces camps, le socialisme s'enseignait à longueur de journée, à coups de chants guerriers et de travaux forcés, censés redonner le goût du travail manuel, le ventre vide pour ôter toute envie de rébellion.

La seule porte de sortie restée entrouverte passait par la mer

Pour les autres, en tout cas pour ceux qui en avaient les moyens, la seule porte de sortie qui restait entrouverte passait par la mer. Beaucoup de membres de ma famille ont tenté leur chance. La majorité est arrivée à bon port. Comme ses deux cousines, parties sur un bateau de fortune, séparées de leur mère et de leurs frères au moment de partir, et qui se sont retrouvées dans un camp de réfugiés en Indonésie. 7 longs mois avant d'obtenir un visa pour la France. Je me rappelle encore de leur arrivée dans notre maison située en banlieue parisienne. Mais à l'époque, j'étais trop petit pour comprendre que cette arrivée marquait la fin d'un long et périlleux voyage. Le souvenir aussi de ma mère qui emballait tout un tas de produits comme du dentifrice ou des brosses à dents, avant de nous emmener à Paris pour pouvoir les envoyer au Vietnam. A mes yeux, un bien long voyage pour des produits si anodins.

Sur les photos de mariage, la famille soudain se recompose

Accrochées aux murs des maisons et dans les albums de photos de la famille restée au Vietnam, les photos des ancêtres se mêlent à celles d'un frère installé aux Etats-Unis, et à celles de petits-enfants nés en France et qu'ici, on n'a jamais vus. Mais sur les photos de mariage, la famille soudain se recompose. D'un coup, la mariée qui vit aux Etats-Unis se retrouve entre un cousin de France et une cousine du Vietnam. Malgré les distances, les liens familiaux restent forts.

Dans un pays où le culte des ancêtres, hérité du confucianisme chinois, est omniprésent, les liens de sang sont sacrés. Dans toutes les maisons que nous avons visitées, un autel, voir une pièce entière, était dédiée au culte des anciens. Et au milieu des rizières qui entourent la maison de mon arrière grand-père, nous avons retrouvé la tombe, toujours entretenue par ses descendants, d'un aïeul né en 1821.

La mémoire des ancêtres, les histoires personnelles des uns et des autres, les souvenirs de mes parents, ceux de mon frère, les miens, sont autant de pièces d'un même puzzle qui me permettent de mieux comprendre l'Histoire du Vietnam et celle de ma famille. Et à travers eux, la mienne.

Minh