Trang est un petit bout de femme de 29 ans. Des pommettes hautes, un regard plein de malice, et un pyjama à fleurs qu'elle ne quitte que pour en mettre un autre. Ça fait partie du charme du Vietnam. Ici, les jeunes femmes et les vieux se promènent dans les rues en pyjama. Il y a 5 ans, Trang a quitté Hué, sa ville natale, pour la bouillonnante Saïgon. Le manque de travail dans la région avait eu raison de sa patience et de celle de ses parents. Dans la plus grande ville du pays, il y a de l'embauche pour qui ne craint pas la fatigue.
Payée à la pièce, Trang trouve un travail dans un atelier de confection : 2000 machines à coudre installées dans un énorme entrepôt.
Et le calme de la petite ville de province, ancienne cité impériale nichée au creux de la rivière des Parfums, fait place au bruit assourdissant des moteurs de la fabrique et au vacarme de la métropole. Pendant quelque temps, Trang résiste à son envie de rentrer à Hué. Elle partage un petit appartement avec d'autres filles de sa province venues à Saïgon pour les mêmes raisons, et trouve du réconfort dans ces amitiés expatriées. Un jour, l'une des employées de la fabrique s'en va. Un nouveau boulot l'attend à Hué, dans un orphelinat. Trang s'engage dans les mêmes démarches, passe des entretiens, et de Saïgon, elle guette chaque jour une lettre lui annonçant son engagement....
Ce matin, c'est Trang qui nous accueille à l'orphelinat Thuy Xuan de Hué. Elle est mère dans ce centre qui recueille près de 50 enfants. Une quarantaine de jeunes enfants, et une dizaine d'adolescents. Trang travaille en compagnie de quatre autres jeunes femmes, les mères. Chacune d'elle prend en charge dix enfants, s'occupe de la maison d'accueil, des courses, des repas, des devoirs... Trang étudie le français depuis six mois. Une heure de cours par semaine, mais un vocabulaire déjà riche, qui cache une réelle envie d'apprendre, et des heures passées à étudier, le soir dans sa chambre... Alors c'est dans un français hésitant, qu'elle nous explique le déroulement de sa journée de travail. "Je me lève à 5h30 pour préparer le petit déjeuner. Puis je passe dans les chambres pour réveiller les enfants. Ils partent à l'école à 6h30, puis reviennent pour déjeuner. Pendant ce temps, je vais au marché, prépare le déjeuner. Le soir, les enfants participent à la préparation du repas, puis je les aide à faire leurs devoirs. Et puis les plus grands aident les plus petits. Nous sommes une grande famille."
L'orphelinat de Hué doit sa création à l'association Aide à l'Enfance du Vietnam. Membre de la fédération Village d'Enfants SOS, cette association fut créée en 1970, en réponse à la détresse des enfants orphelins de la guerre d'Amérique. Ici, c'est comme ça qu'on nomme la guerre du Vietnam. La caractéristique des Villages d'Enfants SOS est de ne jamais séparer les frères et sœurs de sang, et de confier les enfants à une mère célibataire ou veuve qui les considère comme ses propres enfants.
Et c'est effectivement le sentiment qui se dégage de l'endroit. "Une grande famille". Les trois maisons abritant les plus jeunes sont réunies autour d'une cour où les filles jouent à l'élastique et les garçons à la pétanque. A l'aide de rubans de caoutchouc, ils s'inventent un cochonnet sur lequel ils balancent leurs sandales... Au milieu des enfants, il y a Nghin, une jeune fille de 14 ans. Une voix douce et fragile, un sourire un peu triste, Nghin est attentive aux autres. Comme le ferait une grande sœur, elle lasse la chaussure d'un plus petit, s'approche d'un autre qui a cassé son jouet, et mouche le petit dernier, qui est toujours enrhumé. Nghin est arrivée au centre il y a un an. "Mon père est mort quand j'étais petite, et ma mère est gravement malade." La mère de Nghin est institutrice dans la province de Hué, et depuis plus d'un an, des ennuis de santé l'obligent à déserter les cours pour les hôpitaux. Sa santé en dents de scie et son salaire mensuel de 30 euros ne lui permettent plus de s'occuper de sa fille, alors "pour que je puisse continuer mes études, ma mère a préféré m'envoyer à l'orphelinat."
En ce dimanche, les bénévoles d'une association catholique rendent visite aux enfants. Soutien scolaire en mathématiques, en langues, en sciences... Nghi est étudiant en mathématiques. Originaire de la région montagneuse de Dalat, il est venu à Hué pour ses études. "Donner des cours de mathématiques aux adolescents c'est mon travail social en quelque sorte. Mais après mes études, je retournerai à Dalat. Je suis attaché à ma région. La-bas, je souhaite aider ceux des minorités ethniques. La société vietnamienne les a oubliés, et on n'imagine pas à quel point ces gens sont pauvres."
Une ancienne maman arpente la cour et les maisons. Hien a travaillé à l'orphelinat pendant plusieurs années, et quand elle revient, elle retrouve instinctivement les gestes d'autrefois. Elle connaît par cœur le jeu de l'élastique, coiffe une toute petite, écoute les plus grands raconter leurs prouesses...
La journée se termine. Hien et les professeurs du dimanche reprennent les bicyclettes laissées dans la cour. Les enfants abandonnent les jeux pour une heure de jardinage. "On souhaite planter des arbres, des légumes et des fruits" explique Trang. Laissant les enfants en compagnie du gardien, qui aujourd'hui fait office de jardinier, les mères s'esquivent dans les cuisines pour préparer le repas du soir. Toujours vêtue de son pyjama à fleurs, Trang nous raccompagne à la porte, amusée de nous voir partir, nous aussi, sur des vélos.
Nani et Minh
L'association Aide à l'Enfance du Vietnam recherche des parrains pour les orphelins de Thuy Xuan.
Aide à l'Enfance du Vietnam
104 avenue du Général Leclerc
91110 Gif sur Yvette. France