le 22/05/2002

 
 
 
 
 
 
     
     
     22/05/2002
     
 
 
 
 
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Du tableau noir à la cuisine

La première fois que nous avons rencontré Siew See, c'était dans l'arrière-cour de son restaurant. Une ravioli tibétaine dans une main et un tablier de cuisine noué autour de la taille. Une heure plus tard, Siew See avait reposé son tablier mais nous parlait encore du bonheur, de la vie et des rapports humains, à la manière des méditerranéens, ponctuant chaque phrase de grands gestes.

Il y a 5 ans Siew See prenait sa retraite d'enseignante, quittait la Malaisie et s'installait au Népal avec l'objectif d'ouvrir une école pour enfants népalais. Aujourd'hui, son école accueille une trentaine d'enfants, mais n'est toujours pas rentable, et ne le sera sûrement jamais. Alors pour équilibrer les comptes et poursuivre l'aventure, Siew See s'est mise au fourneau et a ouvert un restaurant. "Je n'avais jamais cuisiné auparavant. J'ai toujours vécu chez mes parents, en famille, et c'est ma cousine qui préparait les repas. A 55 ans, j'ai dû tout apprendre." dit-elle en riant.

Elle vous livre son histoire mais saupoudre le tout du message de Bouddha

Comme elle nous avait touché par ses paroles et son histoire, nous sommes revenus les jours suivants. Pour découvrir la cuisine malaise, mais aussi pour entendre la suite de l'histoire. Volubile et enthousiaste, Siew See nous raconte sa venue au Népal, le pays où naquit Bouddha, ses études consacrées au bouddhisme auprès d'un grand maître, son école et sa famille. Fille unique d'une famille d'origine chinoise, elle aura attendue la cinquantaine pour vivre sa vie, loin de ses parents.

Il y a longtemps son père lui a interdit d'épouser l'homme qu'elle aimait. "Parce qu'il n'était pas chinois ! Mon père m'aurait répudié pour cela. Du coup, je ne me suis jamais mariée." Et malgré les années, à l'évocation de ce passé, son regard s'emplit de tristesse. "Il faut pardonner et accepter sa famille. Si je suis née dans cette famille, il y a une raison. Dans nos vies passées, des relations plus fortes encore nous ont unies. Et dans cette vie présente, nous sommes réunis pour faire quelque chose ensemble." C'est comme ça que parle Siew See. Elle vous livre son histoire mais saupoudre le tout du message de Bouddha.

Un monde d'hommes dans lequel les femmes n'entreprennent pas

Dans ce combat qu'elle mène pour aider les népalais, sa famille est là encore. Son père est inquiet et triste de la savoir aussi éloignée, mais c'est bien le seul à ne pas lui avoir encore rendu visite. Des cousins, des nièces se relaient pendant plusieurs mois auprès d'elle. Pour l'aider en cuisine, servir les clients, rompre sa solitude et partager son combat.

Car la voie qu'a choisie Siew See est revêtue d'obstacles. Les démarches administratives sont longues, compliquées et coûteuses. "Les obligations faites aux investisseurs étrangers sont parfois décourageantes. Pour meubler le restaurant par exemple, j'ai l'obligation de choisir des meubles en bois." Quant aux différences culturelles, elles sont bien réelles. C'est un monde d'hommes dans lequel les femmes n'entreprennent pas. Le plus souvent, l'horizon des femmes népalaises est limité par les quatre murs de leurs maisons, l'éducation des enfants et le travail agricole.

Et puis la situation politique est incertaine. "Lorsque les maoïstes appellent à la grève générale, je ne sais jamais comment faire. Le mois dernier, le bandh a duré 5 jours. Si je ferme l'école, les parents des élèves viennent me voir et me demandent d'accueillir les enfants. Mais pour cela je risque de voir les maoïstes détruire mon école. Même chose pour le restaurant."

En dépit du manque de coopération des népalais, Siew See continue sa route. "Les népalais vous demandent beaucoup, mais ne vous donnent rien. Jamais." Mais c'est dans l'épreuve qu'on apprend, qu'on progresse. Et c'est là probablement son véritable objectif. Avancer, se corriger, se mettre à l'épreuve et améliorer son karma.

Comme un avant-goût de Malaisie

Le jour de notre départ, nous sommes venus saluer Siew See, son cousin et sa nièce, et goûter une dernière fois son excellente cuisine. A Pokhara, au pied de l'Annapurna, c'était comme un avant-goût de Malaisie, que Siew See savait rendre vivant par ses récits, par l'histoire de son pays, de sa famille. Mais au moment de partir, comme si notre rencontre avait été trop brève, Siew See s'inquiète des détails du voyage. La voiture, nos visas, nos prochaines étapes... Et pour repousser encore un peu le départ, elle sort d'un tiroir une brochure touristique de sa ville. Penang. "C'est un peu vieux, la brochure date du mois d'octobre, mais voyez tout ce que vous pourrez faire là-bas." Et nous feuilletons, commentaires à l'appui la revue page après page. Devant son restaurant, nos routes se séparent. " Faites attention à vous. Et surtout, n'oubliez pas d'aller voir ma cousine à Penang."

Nani et Minh